Tribune de Victor Hugo Espinosa : « Le confinement dans tous ses états » – lundi 6 avril 2020
Victor Hugo Espinosa est Ingénieur Civil, spécialiste en Risques Majeurs, chargé de cours de communication à l’Université des Sciences – Saint-Charles à Marseille. Auteur du livre Chatouille, pourquoi tu fouilles ? sur les déchets (Prix Renaudot Benjamin en 2011) et Marie, pourquoi tu tousses ? sur la pollution de l’air. En 1986, il a lancé la thérapie par le rire et met en place le premier club du rire de France, en créant l’association SOS-Rire. Avec Ecoforum, il lance en 2000 les Eco-Débats, une fois par mois, qui comptent à Marseille parmi les grands rendez-vous de la concertation des citoyens. Il a mené près d’un millier d’animations sur l’environnement et le développement durable dans les écoles, collèges et lycées. Victor Hugo Espinosa est aussi le créateur et l’animateur des Psycho-Débats : des conférences, tables rondes, groupes de réflexion, qui ont pour but de mieux-vivre. Il en réalise aujourd’hui à la Bibliothèque L’Alcazar à Marseille. Il est encore à l’origine du projet L’Air et Moi et d’AirLoquence, qui a comme objectif d’apprendre aux lycéens la prise de parole grâce à la créativité et le rire, et de les former à la lutte contre la pollution de l’air.
En 1973, j’ai vécu ma première quarantaine dans les prisons du dictateur Pinochet au Chili. Oui, 40 jours de prison dans le Stade National du Chili. Nous étions plus de cinquante, enfermés dans un vestiaire prévu pour les joueurs. Je suis arrivé en France en 1978 en tant que réfugié politique grâce à Amnesty International. Ce que j’ai appris de plus important pendant ce confinement subi, c’est le vrai sens du mot « liberté ». Souvent, l’absence de liberté nous permet de mieux l’apprécier lorsqu’elle nous est ensuite accordée de nouveau.
Aujourd’hui, en 2020, je vis une nouvelle quarantaine, que je trouve nécessaire pour éviter la propagation de ce virus qui rend malade et qui tue. Être confiné a des effets négatifs, même quelques années plus tard, mais peut se vivre comme une expérience pour être plus heureux. Le philosophe Nietzsche nous rappelle : « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort ». En France, depuis le 17 mars, la grande majorité des citoyens sont confinés à domicile. Dans le monde, c’est plus de trois milliards de personnes qui le sont, presque la moitié de la population mondiale. Une telle mesure de confinement est inédite. Nous sommes devant une crise sanitaire planétaire qui doit nous amener à réfléchir profondément sur notre façon de vivre pour nous permettre d’agir, désormais, différemment : de manière plus solidaire, plus respectueuse de notre planète et de ses ressources, plus bienveillante. Et sans oublier les valeurs de notre propre devise : « Liberté, égalité et fraternité ». Nous ne sommes pas tous égaux face au temps ni face au confinement. Une perception du temps de confinement peut être différente si nous habitons dans une grande maison avec jardin ou dans un logement trop petit et sans fenêtre, si nous sommes seuls, en famille ou dans un Ehpad. En Chine, dans certaines villes, les violences domestiques ont presque triplé pendant le confinement. Et par conséquent, les demandes de divorces ont explosé. Par ce texte, j’aimerais donner mon point de vue sur la situation de confinement à travers quelques thématiques que nous avons déjà traitées en psycho-débats, agrémentées de quelques conseils de lecture.
Communication verbale et non verbale.
Selon une étude reconnue, 55 % de la communication est visuelle, 38 % vocale et 7 % verbale. Pendant le confinement, l’expression du visage et le langage corporel parlent plus fort que les mots. Plus on connaît la personne qui communique avec nous, plus elle pourra lire nos attitudes et nos gestes, conscients et inconscients. Même par téléphone, votre interlocuteur sera sensible à l’intonation et au son de votre voix. Les mots que vous allez utiliser seront décryptés. Plus nous aimons quelqu’un, plus nous l’écoutons, plus nous l’observons. Plus le temps de confinement est long, plus notre détresse s’exprimera dans notre communication verbale et non verbale. Pour freiner le coronavirus, vous devez « rester chez-vous » et si vous devez sortir, il ne faut pas oublier de « garder vos distances », des gestes « barrières » qui perturbent nos gestes quotidiens de proximité et de sociabilité.
Lecture : Ces gestes qui nous trahissent, de Joseph Messinger.
De la même façon, nous communiquons consciemment ou inconsciemment à travers les objets que nous choisissons, pour décorer notre maison par exemple… Ces objets peuvent constituer un support de communication avec nous-mêmes ou avec l’autre qui habite avec nous par exemple. Les objets parlent si fort qu’il suffit d’y être attentif pour imaginer ce qu’ils racontent. Pendant le confinement, c’est le moment de regarder certains objets qui nous sont chers (photos, cadeaux…) pour nous ramener vers de beaux souvenirs. C’est le moment peut-être de décorer notre maison autrement ou simplement trouver un meilleur rangement pour avoir un intérieur plus agréable et plus fonctionnel. Sans oublier que lorsque nous travaillons de chez nous, l’aménagement d’un espace de travail est primordial. Si possible, dans une pièce à part, pour mieux concilier vie privée et vie professionnelle.
Communication violente et non violente
La violence, intériorisée ou extériorisée, résulte d’un manque de vocabulaire : elle est l’expression d’une frustration qui n’a pas trouvé les mots pour se dire. Parfois, la violence apparaît quand une personne tente d’établir un rapport de force avec une autre personne. Durant un confinement, les gens ont parfois des difficultés à vivre ensemble. Certaines personnes ont des problèmes psychologiques et arrivent difficilement à maîtriser leur colère et à se contrôler. Pendant un long confinement, certaines personnes ne trouvent pas les mots pour exprimer leur solitude, leur tristesse ou leur colère devant cet enfermement, nécessaire mais désagréable. Pour certains, cela en est presque insupportable. C’est alors que viennent les critiques, les insultes, les agressions physiques… Parmi les causes : le stress, la trop grande proximité et le temps du confinement. Mais aussi pour beaucoup de couples, pendant le confinement, il est difficile d’accepter les comportements de l’autre. Pour avancer vers la communication non-violente, il peut être intéressant de commencer à observer sans évaluer, à dire son sentiment, à exprimer son besoin et à demander sans exiger.
Lecture : La communication non violente, de Marshall B. Rosenberg.
La confiance en soi
Elle existe dans l’esprit de la personne qui fait une prédiction réaliste et ponctuelle des ressources qu’elle a pour faire face à une situation particulière. Certains ont beaucoup trop confiance en eux, d’autres, cruellement moins ! Avoir confiance en soi permet de se sentir plus fort devant les dangers. Avoir confiance en soi permet de mieux comprendre les risques de contagions et ainsi de mieux accepter les consignes de confinement. En quelque sorte, cela permet d’avoir confiance en les autres. Les maladies liées au manque de confiance en soi sont nombreuses : l’anxiété, la phobie sociale, la dépression, les migraines… Peut-être, faudrait-il aussi relativiser pour avoir confiance dans l’avenir… En France, 99 % des patients du Coronavirus guérissent.
Lecture : La confiance en soi, une philosophie de Charles Pépin.
La créativité
Un créatif considère les problèmes et les difficultés comme des défis à relever et trouve des solutions là où d’autres y ont renoncé. Profitez de faire de ce confinement une épreuve positive, grâce à des techniques et des conseils pour stimuler l’imagination qui sommeille en vous. Soyez créatifs sur la décoration de votre maison, lancez-vous dans l’écriture d’un livre, parlez avec les autres, faites à manger…
Lecture : Libérez votre créativité, de Julia Cameron.
L’art-thérapie
La création artistique comme la peinture, le théâtre, la danse, le collage, le modelage, la photographie… sans oublier l’écriture, vous permettra sans doute, dans cette période de confinement, une transformation positive. L’art-thérapie analytique est un chemin personnel qui permet de s’exprimer par un langage artistique lorsque les mots n’arrivent plus à exprimer nos maux.
Lecture : L’art-thérapie, de Richard Forestier.
La gestion du temps
Nous consacrons environ la moitié de notre temps à des activités permettant de « gagner notre vie », pour survivre et pour nous procurer un peu de confort. Nous engageons environ le quart de notre temps dans des activités de subsistance (manger, boire, nous reposer, etc…) et d’entretien domestique (nettoyer, cuisiner, faire des travaux…). Le temps qui reste, un autre quart environ, est du temps personnel, du temps libre, du temps que nous pouvons consacrer à notre développement personnel, pour apprendre, pour créer, etc… Si vous êtes confinés chez vous, cette période est une opportunité pour prendre du temps pour vous et vos proches. En période de confinement, nous pouvons avoir une perception perturbée et subjective de la durée de nos activités. L’impact psychologique est plus important, si la date de la fin du confinement est reculée ou pire encore indéfinie. Pour mieux vivre ce moment, il est souhaitable de définir des objectifs réalisables et des activités qui vous font plaisir ainsi que des rituels. Quand on est occupé, on ne voit pas le temps passer. En revanche, quand on attend quelque chose, le temps semble interminable. Pendant le temps libre, commencez par éliminer de votre liste les objectifs confus ou irréalistes et dont la réalisation ne dépend pas de vous. Certains pensent que se reposer, méditer, prier, voir un film ou ne rien faire, c’est perdre son temps. Le temps libre ou le temps confiné est une opportunité de faire ce que nous n’avons jamais le temps de faire et pourquoi pas de ne « rien faire » pour « mieux faire » plus tard. Même si je suis partisan de vivre à fond le moment présent, je pense qu’il est très important de croire aussi au futur et à la liberté. Dans mon présent confiné, j’ai envie de planifier et même d’imaginer ce que je ferai juste après la fin du confinement.
Lecture : Le pouvoir du moment présent, de Eckhart Tolle.
Le Rire et la Thérapie par le Rire
Il est scientifiquement prouvé que l’humour et le rire sont extrêmement bénéfiques pour la santé, et particulièrement pour lutter contre le stress. Avec 30 minutes de rire par jour, on pourrait se passer de nombreux médicaments, affirme Henri Rubinstein, neurologue américain. Quand on rit, 400 muscles sont activés et nos 40 000 pensées par jour sont court-circuitées. Un enfant rit en moyenne 300 à 400 fois par jour. L’adulte ne rirait, lui, que 20 fois par jour. Des études démontrent que les individus laissent de moins en moins de place au rire chaque jour : 19 minutes en 1939, 6 minutes en 1983 et moins d’une minute aujourd’hui. Charlie Chaplin disait : « Une journée sans rire est une journée perdue ». Le confinement peut être une opportunité de stimuler votre sens de l’humour avec vos proches, et pourquoi pas à travers certains jeux qui invitent à rire comme les jeux de société ou jeux humoristiques en groupe.
Lecture : Le rire, de Henri Bergson.
L’Amour dans tous ses états
Tout le monde cherche l’amour : au sein de son couple, de sa vie amicale, familiale, de son travail… Mais aussi au sein de ses activités : aimer… la musique, le sport, la lecture, les voyages… Pendant le confinement, pour une grande majorité, certaines formes d’amour sont absentes. L’impossibilité de voir ses parents, ses grands-parents, ses amis, ses collègues de travail… En France, près d’un mariage sur deux finit en divorce, ce qui crée une population de nouveaux célibataires divorcés. Séparation voulue ou subie ? La société, la famille, le couple, les amis… nous devons sans arrêt rendre des comptes… nous sommes confrontés quelques fois à la rupture, la séparation, la déception, et aussi à l’abandon ! En général, nous devons aussi gérer notre perception de « l’amour que nous avons envers l’autre », de « l’amour que nous avons pour nous-même » et aussi de « l’amour que l’autre a pour nous ».
Lecture : L’amour dans tous ses états, de Macha Méril
Les personnes Toxiques
Si certains proches, amis ou collègues ont le don d’empoisonner votre vie, vous êtes peut-être en face de personnes toxiques. En général en leur compagnie, vous vous sentez dévalorisé, contrôlé, déprimé, exténué, irascible ou encore sur la défensive… Parmi les personnes toxiques, il y a : le dénigreur, l’autodestructeur, le compétiteur, la commère, l’hypocrite, l’indécis, l’exploiteur, le tyran, le menteur, le touche-à-tout, le fanatique, le nombriliste, le manipulateur, le dominateur, le paranoïaque… Lors d’un confinement long, certaines personnes peuvent devenir des terreurs toxiques, et être de vraies menaces pour votre vie quotidienne. Chacun de nous peut être une personne toxique ou avoir des comportements toxiques, par rapport à une personne et une situation donnée.
Lecture : Ces gens qui nous empoisonnent l’existence, de Lillian Glass
Savoir pardonner
Trahisons, humiliations, violences, abandons, injustices, perte d’un être cher, suicide, infidélités, mensonges… Savoir pardonner… pour vivre mieux ! Dans cette période de confinement, vous pouvez en profiter pour vous poser 3 questions : qu’avez-vous à pardonner ? Qu’avez-vous à vous faire pardonner ? Attendez-vous le pardon de quelqu’un ? Savoir pardonner, c’est avant tout se pardonner à soi-même. C’est décider de ne plus souffrir et sortir de la violence subie. C’est reconnaître que la faute existe, exprimer sa colère et surtout cesser de se sentir coupable. C’est aussi chercher à comprendre celui qui nous a blessé, sans oublier de prendre son temps pour pardonner, et enfin, soulager son cœur afin de revenir à un état de liberté et à une autonomie vis-à-vis du passé. Le moment de confinement, est un moment pour se remettre en question et pardonner.
Lecture : Guérir par le Pardon, de Bernard Courchinoux-Chaumeil.
La méthode Coué
C’est la maîtrise de soi même par l’autosuggestion consciente. Émile Coué disait : « Je ne suis pas un guérisseur, c’est en vous que vous trouverez la guérison. Pour commencer, disait-il, tous les matins et tous les soirs, prononcez plusieurs fois la phrase suivante : « Tous les jours, à tous points de vue, je vais de mieux en mieux ! » » Il y a des gens qui ont une capacité à se répéter à longueur de journée des phrases négatives, mais il suffit d’aller vers une pensée positive pour être plus heureux.
Lecture : La méthode Coué, d’Émile Coué.
La culture du risque
L’Humanité doit mieux se préparer pour faire de mieux en mieux face aux catastrophes : risques naturels (tempêtes, inondations, séismes…), risques technologiques (industriel, nucléaire, biologique…) et risques sanitaires comme l’épidémie du coronavirus. La culture du risque est la connaissance de toute la population des risques, pour permettre à chacun d’adopter des comportements adaptés pour protéger principalement des vies. La transparence de l’information est impérative pour avoir la confiance de la population.
La culture de risque sauve votre vie et aussi celle d’autres. Pour moi, la culture du risque doit être apprise notamment dans les écoles, collèges et lycées. Je pense par exemple au comportement exemplaire de Tilly Smith, qui avait 10 ans quand elle a sauvé plus de 100 personnes lors du tsunami de 2004 dans l’Océan Indien, qui a tué environ 230 000 personnes. Grâce à une leçon de géographie, elle avait appris les comportements à adopter quand la mer se retire brusquement : se mettre en hauteur rapidement. Ses parents sont vite allés avertir les autres, ce qui a permis l’évacuation à temps. « La prévention est différente de la protection. Elle correspond à un ensemble de mesures visant à limiter la gravité des conséquences d’un phénomène dangereux sans en modifier la probabilité d’occurrence ». La culture du risque est très bénéfique car elle réduit la peur de l’inconnu. Être dans la quiétude est une bonne chose pour notre bien-être. Mais une inquiétude rationnelle peut parfois être nécessaire pour mieux se protéger et protéger les autres. En même temps, avoir une peur irrationnelle ou se faire avoir par la peur de la mort est très destructeur pour préserver la santé mentale et le bien-être pendant l’épidémie : pensées noires, angoisse, dépression, panique, violences, phobies… Nous avons tous nos peurs, nos craintes, nos doutes… Nos peurs sont indispensables parce qu’elles nous alertent sur les dangers potentiels, nous invitent à la prudence et à la sagesse d’accepter des gestes de protection. Mais parfois, les pensées qui nous amènent à être inquiet sont injustifiées voire irrationnelles : elles sont le fruit de notre imaginaire… Le coronavirus est un tsunami que nous n’avons pas vu venir, mais désormais nous pouvons réduire le nombre de morts et de malades. #RESTEZ à la maison
Victor Hugo Espinosa
Quelques contacts : Pour prévenir les violences et le harcèlement, je vous conseille de visiter et de regarder les vidéos de l’association marseillaise : Plus FORT, avec des psychologues expérimentés à votre service. Les répercussions du confinement pour certaines personnes, peuvent être nuisibles, et même dangereuses pour elle et pour ses proches. L’association SOS Amitié est à l’écoute de toute personne ayant besoin de soutien, dans le respect de l’anonymat et de la confidentialité au 09 72 39 40 50. |